CHAPITRE XIII - Un bruit dans la nuit

 

Ce fut Dagobert qui s'aperçut le premier d'une présence étrangère. Il dressa les oreilles et grogna.

«  Qu'as-tu, Dago? demanda Claude. Est-ce que quelqu'un vient? »

Dagobert poussa un petit jappement. Puis il remua la queue et bondit hors de la carrière.

«  Où va-t-il ? dit Claude étonnée. Tiens, il re-revient! »

Oui, il revenait accompagné d'un petit chien tout à fait comique. Oh! oui! Flop. Ne sachant trop quel accueil lui serait réservé, le roquet rampait sur le ventre et ressemblait plus que jamais à une descente de lit.

Dagobert lui faisait fête comme s'il retrouvait son meilleur ami. Claude caressa le petit chien et François le regarda pensivement.

« J'espère que cela ne veut pas dire que nous sommes près du campement des gitans, dit-il. Je n'en serais pas tellement étonné après tout. Je ne m'oriente pas très bien.

— Oh! mon Dieu! Ce serait très désagréable, s'écria Annie consternée. Les gitans de l'ancien temps avaient dû s'installer à côté de la carrière pour attaquer plus facilement les Barthe… leurs descendants reviennent peut-être au même endroit.

— Qu'est-ce que cela fait? demanda Michel. Tu as peur d'eux? Pas moi. »

Ils restèrent tous immobiles. Flop léchait la main d'Annie. Dans le silence, ils entendirent un reniflement qui ne leur était que trop familier.

« Mario! cria Claude. Sors de ta cachette. Je t'entends! »

Deux jambes émergèrent d'un fourré de bruyère au bord de la carrière, puis le corps menu de Mario glissa sur le sable. Le petit garçon sourit, un peu effrayé à l'idée d'avoir commis une indiscrétion.

« Que fais-tu ici? demanda sévèrement Michel. Tu nous espionnes?

— Oh! non! dit Mario. Notre camp n'est pas très loin. Flop vous a entendus, je crois, et je l'ai suivi.

— Flûte! Nous qui espérions être loin de tout, s'écria Claude. Les autres gitans savent-ils que nous sommes ici?

— Pas encore, répondit Mario. Mais ils le découvriront bientôt. Ils sont si rusés. Je ne dirai rien, si vous préférez. »

Michel lui lança un biscuit.

— Oui, garde le silence. Nous ne gênons personne et nous ne voulons pas qu'on nous gêne. »

Mario hocha la tête. Il plongea la main dans sa poche et en tira le mouchoir rouge et blanc, encore tout propre et bien plié.

« Je ne l'ai pas sali, dit-il fièrement à Claude.

— Tu as eu tort, riposta-t-elle. C'est pour te moucher. Non, ne te sers pas de ta manche.»

Mario n'arrivait pas à comprendre pourquoi il devait salir ce beau mouchoir propre alors qu'il avait une manche bonne à tous les usages. Il remit le carré de toile dans sa poche.

Flop et Dagobert vinrent jouer avec lui. Quand ils eurent fini leur goûter, les enfants donnèrent à Mario un dernier biscuit et rangèrent leurs provisions. La proximité du camp des gitans les obligerait à prendre des précautions

« File! Mario, dit François. Et ne viens pas nous espionner. Dagobert saura immédiatement que tu es là et se lancera à ta poursuite. Si tu veux nous voir, siffle d'un peu loin. Ne te glisse pas dans la carrière. C'est compris?

— Oui », dit Mario. Il prit le mouchoir et l'agita avant de disparaître, escorté de son inséparable compagnon.

« Je veux savoir exactement où se trouve le camp des bohémiens », dit François.

Il fit quelques pas dans la direction que Mario avait prise. Oui, il apercevait la colline qui abritait les roulottes. Elle s'élevait à environ cinq cents mètres. Flûte! Mais avec un peu de chance, les bohémiens ne se douteraient pas de leur présence.

« A moins que Mario ne vende la mèche, dit François. Nous allons passer la nuit ici et demain, si cela nous chante, nous irons plus loin. »

Ils oublièrent bientôt ce fâcheux voisinage et retrouvèrent leur entrain pour faire une joyeuse partie de ballon. Dagobert se joignit à eux. Mais il avait la manie d'attraper le ballon avec ses dents et ils furent obligés de l'attacher. Dagobert, profondément vexé, tourna le dos d'un air boudeur.

« Il te ressemble, Claude », dit Mick, et Claude, irritée, lui jeta le ballon à la tête.

Personne n'avait faim à l'heure du souper. François alla remplir à la source une petite gourde d'aluminium. L'eau était délicieuse.

« Je me demande ce que fait Paule, dit Annie. Ses tantes doivent la combler de gâteries. Comme elle était drôle en costume de ville. Mais je l'aime bien.

— Elle est digne d'être un garçon, dit Michel. Comme toi, Claude, se hâta-t-il d'ajouter. Toutes les deux, vous êtes deux chic types et vous avez du cran.

— Comment sais-tu que Paule a du cran? demanda Claude d'un ton méprisant. Par ses histoires stupides? Je parie qu'elle les a toutes inventées. »

François jugea à propos de changer le sujet de la conversation.

« Aurons-nous besoin de couvertures cette nuit? demanda-t-il.

— Sûrement. Il fait chaud maintenant; mais quand le soleil sera couché, le temps se rafraîchira, dit Annie. Si nous avons froid, nous pourrons nous glisser dans une de ces petites grottes. Il y fait très chaud. Je suis allée voir. »

Ils s'installèrent de bonne heure pour dormir. Les garçons prirent un côté de la carrière et les filles, l'autre. Comme d'habitude, Dago se coucha sur les pieds de Claude.

« Il est sur les miens aussi, protesta Annie. Et il est terriblement lourd. Garde-le pour toi, Claude. »

Claude le fit changer de place, mais dès qu'Annie fut endormie, il reprit sa première position. Malgré la fatigue de la journée, il ne dormait que d'un œil et d'une oreille. Un hérisson passa, des lapins quittèrent leur terrier pour jouer, des grenouilles coassaient dans un étang lointain. Dagobert entendait tous ces bruits et même le murmure argentin de la petite source. Personne ne bougeait dans la carrière. Le croissant de lune qui brillait dans le ciel au milieu des étoiles ne donnait pas beaucoup de clarté.

Dagobert leva brusquement la tête. Avant même de se réveiller, il était sur le qui-vive.

Un bourdonnement, d'abord lointain, devenait de plus en plus proche. Dagobert se redressa, les yeux grands ouverts. Le son s'intensifiait. Brusquement tiré de son sommeil, François se demanda ce qui se passait. Un avion? Sans doute, et qui volait très bas. Il n'allait pourtant pas atterrir dans la lande en pleine nuit!

Michel s'assit à son tour sur le sable, puis tous les deux sortirent de la carrière.

« C'est bien un avion, dit Michel à voix basse. Que fait-il? Il n'a pas l'air de vouloir se poser. Il tourne en rond.

— Tu crois qu'il a des difficultés? demanda François. Le voilà qui revient.

— Regarde cette lueur là-bas, dit brusquement Michel en indiquant l'est. Tu vois? Ce rayonnement pas loin du camp des gitans?

— Bizarre, dit François perplexe. Ce n'est pas un feu, n'est-ce pas? On ne voit pas de flammes et la clarté ne vacille pas comme celle d'un feu.

— Je crois que c'est une sorte de point de repère pour l'avion, dit Michel. L'appareil semble tourner autour. »

Ils redoublèrent d'attention. Oui, l'avion décrivit plusieurs cercles; brusquement il s'éleva dans les airs et se dirigea vers l'est.

« Il s'en va, dit Michel les yeux écarquillés. Impossible de l’identifier… je sais seulement qu'il est très petit.

— Qu'est-il venu faire? demanda François. La clarté aurait pu l'aider à atterrir… ce qui d'ailleurs n'aurait pas été sans danger. Mais il ne s'est pas posé… Il a tourné en rond et il est parti.

— Qui sait d'où il vient, dit Mick. De la côte, je suppose… Crois-tu qu'il a traversé la mer?

— Je n'en sais rien, dit François. Cela me dépasse. Mais quel rapport avec les gitans? Les bohémiens et les avions, ça ne va pas ensemble.

— Nous ne savons pas s'il venait ici pour les gitans… Nous avons simplement vu cette clarté, dit Michel. Elle s'éteint maintenant. Regarde. »

En effet, la nuit avait repris possession de la lande.

« C'est drôle, dit François en se grattant la tête. Je n'y comprends rien. Les gitans manigancent peut-être quelque chose i ils viennent dans ce désert sans raison apparente… et ils ne tiennent pas à ce qu'on les observe, nous en avons eu la preuve.

— Il faut que nous découvrions à quoi rimait cette clarté, dit Michel. Demain nous ferons une petite enquête. Mario nous renseignera peut-être.

— C'est possible, dit François. Nous l'interrogerons. Retournons dans la carrière; il fait froid ici. »

Les filles dormaient toujours. Dagobert ne les avait pas réveillées. Il était aussi intrigué que François et Michel, mais il n'avait pas manifesté sa surprise. François s'en réjouissait; les gitans auraient pu entendre ses aboiements et comprendre qu'ils avaient des voisins. Les garçons se blottirent sous leurs couvertures et furent bientôt réchauffés. Quelques minutes plus tard, ils dormaient.

Dagobert se réveilla le premier et s'étira. Annie se redressa avec un petit cri.

« Oh! Dagobert! Tu m'as fait mal! Fais ta culture physique sur Claude, pas sur moi! »

François et Michel se levèrent, allèrent faire leur toilette à la source et rapportèrent un broc d'eau. Annie prépara le déjeuner et, tout en mangeant, les garçons racontèrent les événements de la nuit.

« Que c'est drôle! dit Annie. Et cette clarté… ce devait être une sorte de fanal pour guider l'avion. J'aimerais voir l'endroit où elle était. C'était peut-être un feu.

— Bon. Allons-y ce matin, dit Michel; nous prendrons Dago pour nous défendre au cas où nous rencontrerions des gitans. »